Facta Ficta

vitam impendere vero

Nietzsche thinking

[MA-131]

Ressouvenirs religieux

Si fort que l’on se croie déshabitué de la religion, cela n’en est pas, arrivé au point qu’on n’eut pas déplaisir à éprouver des sentiments et des dispositions religieuses sans contenu intelligible, par exemple dans la msique: et quand une philosophie nous expose la justification d’espérances métaphysiques, de la profonde paix de l’âme qu’on doit leur demander, et par exemple parle « de tout l’Évangile certain dans le regard de la Madone chez Raphaël », nous accueillons de pareilles expressions et démonstrations avec une disposition particulièrement cordiale: le philosophe a ici trop de facilité à prouver, il répond par ce qu’il lui plaît de donner à un coeur qui se plaît à le prendre. À ce propos, l’on remarque combien les libres esprits trop peu circonspects ne sont choqués proprement que des dogmes, mais reconnaissent très bien le charme du sentiment religieux; ils ont peine à laisser aller le dernier à cause des premiers. — La philosophie scientifique doit être fort sur ses gardes pour ne pas aller, en raison de ce besoin — besoin acquis et conséquemment aussi passager— introduire des erreurs en contrebande: même des logiciens parlent de « pressentiments » de la vérité dans la morale et l’art (par exemple du pressentiment, « que l’essence des choses est une »): c’est pourtant ce qui devrait leur être interdit. Entre les vérités diligemment découvertes et de pareilles choses « pressenties », il reste cet abîme infranchissable que celles-là sont dues à l’intelligence, celles-ci au besoin. La faim ne prouve pas qu’il y a un aliment pour la satisfaire, mais elle désire cet aliment. « Pressentir » ne signifie pas: reconnaître à aucun degré l’existence d’une chose, mais la tenir pour possible, dans la mesure où on la désire ou la craint; le « pressentiment » ne fait pas avancer d’un pas dans le pays de la certitude. — On croit involontairement que les parties d’une philosophie qui portent un coloris de religion sont mieux prouvées que les autres; mais c’est au fond le contraire, on a seulement l’intime désir qu’il puisse en être ainsi, partant que ce qui rend heureux soit aussi le vrai. Ce désir nous conduit à acheter de mauvaises raisons pour de bonnes.