Facta Ficta

vitam impendere vero

Nietzsche thinking

[JGB-10]

Le zèle et la subtilité, je dirais presque la ruse que...

Le zèle et la subtilité, je dirais presque la ruse que l’on met aujourd’hui partout en Europe à serrer de près le problème du « monde réel » et du « monde des apparences » prête à réfléchir et à écouter; et celui qui, à l’arrière-plan, n’entend pas parler autre chose que la « volonté du vrai » n’est certes pas doué de l’oreille la plus fine. Dans certains cas fort rares, il se peut qu’une telle « volonté du vrai » soit véritablement en jeu, ce sera quelque intrépidité extravagante et aventureuse, l’orgueil de métaphysicien d’une sentinelle perdue qui préfère une poignée de « certitudes » à toute notre charretée de belles possibilités. Il se peut même qu’il y ait des puritains fanatiques de la conscience qui préfèrent mourir sur la foi d’un néant assuré que sur la probabilité de quelque chose d’incertain. Or, c’est là du nihilisme et l’indice d’une âme désespérée et fatiguée jusqu’à la mort: quelle que soit l’apparence de bravoure que veut se donner une pareille attitude. Il semble cependant qu’il en est autrement chez les penseurs plus vigoureux, qui sont encore animés d’une vitalité plus abondante et plus avide de vivre. Tandis que ceux-ci prennent parti contre l’apparence et prononcent déjà avec orgueil le mot de « perspective », tandis qu’ils estiment aussi peu le témoignage de leur propre corps que celui de l’apparence qui affirme que la terre est immobile, renonçant ainsi, avec une visible insouciance, à l’acquisition la plus certaine (car qu’affirme-t-on aujourd’hui avec plus de certitude, si ce n’est son corps?) — qui sait, si, au fond, ils ne veulent pas reconquérir quelque chose que l’on possédait jadis plus sûrement encore, quelque chose qui fît partie du vieil apanage de la foi, peut-être l’ « âme immortelle », peut-être le « Dieu ancien », bref, des idées qui fourniraient une base de la vie plus solide, c’est-à-dire meilleure et plus joyeuse que la base des « idées modernes »? Il y a là de la méfiance à l’égard de ces idées modernes, il y a de l’incrédulité au sujet de tout ce qui a été édifié hier et aujourd’hui; il s’y mêle peut-être un certain dégoût et une légère ironie à l’égard de cet insupportable bric-à-brac d’idées de l’origine la plus diverse, tel que nous apparaît aujourd’hui ce que l’on appelle positivisme, une répugnance du goût plus affiné devant ce bariolage de foire et ces haillons, où paradent ces philosophâtres de la réalité chez qui rien n’est neuf et sérieux, sinon précisément ce bariolage. J’ai idée que c’est en cela qu’il faudrait donner raison à ces sceptiques anti-réalistes, à ces minutieux chercheurs de la connaissance: leur instinct qui les chasse hors de la réalité moderne n’a pas été réfuté, — que nous importe leurs voies détournées qui ramènent en arrière ! Ce qu’il y a d’essentiel chez eux, ce n’est pas qu’ils veulent retourner « en arrière », c’est bien plutôt qu’ils veulent — s’en aller. Un peu plus de force, d’élan, de courage, de maîtrise, et ils voudraient sortir de tout cela — et non point aller en arrière ! —