[JGB-223]
L’homme-mixture qui est l’Européen — un assez vilain...
L’homme-mixture qui est l’Européen — un assez vilain plébéien, somme toute — a absolument besoin d’un costume: il lui faut l’histoire en guise de garde-robe pour ses costumes. Il s’aperçoit, il est vrai, qu’aucun costume ne lui va — il échange et entrechange sans cesse. Qu’on examine bien le dix-neuvième siècle dans ses prédilections éphémères et sa mascarade bariolée de tous les styles, et aussi dans son chagrin de s’apercevoir enfin que rien « n’est à sa mesure » — ! En vain prend-on le romantique, le classique, le chrétien, le florentin, le baroque ou le « national », in moribus et artibus: rien n’« habille » ! Mais l’esprit, en particulier l’« esprit historique », profite même de cette agitation désespérée. On recherche sans cesse un nouveau lambeau du passé et de l’« exotisme », on s’en affuble, puis on s’en débarrasse, mais surtout on l’étudie. Nous en sommes à la première période studieuse pour ce qui concerne les « costumes », c’est-à-dire les morales, les articles de croyance, les goûts des arts et les religions. Nous sommes préparés, comme on ne le fut en aucun autre temps, à un carnaval de grand style, aux plus spirituels éclats de rire et à la pétulance du mardi gras, aux hauteurs transcendantales des plus altières insanités et de la raillerie aristophanesque du monde. Peut-être découvrirons-nous précisément ici le domaine de notre génie inventif, le domaine où l’originalité nous est encore possible, peut-être comme parodistes de l’histoire universelle et comme polichinelles de Dieu, — peut-être que, si des choses du présent rien d’autre n’a d’avenir, notre rire du moins aura-t-il l’avenir pour lui !