[JGB-28]
Ce qui se traduit le plus difficilement d’une langue dans...
Ce qui se traduit le plus difficilement d’une langue dans l’autre, c’est l’allure du style, laquelle est basée sur le caractère de la race, pour m’exprimer plus physiologiquement sur l’allure moyenne de son processus d’« assimilation ». Il y a des traductions faites avec une entière bonne foi qui sont presque des faux, car elles vulgarisent involontairement l’original, seulement parce que l’allure vive et joyeuse de l’original était intraduisible, cette allure qui passe et aide à passer sur tout ce qu’il y a de dangereux dans le sujet et l’expression. L’Allemand est presque incapable du presto dans sa langue et aussi, ou s’en doute bien, de certaines nuances plaisantes et audacieuses propres à l’esprit libre et indépendant. De même que le bouffon et le satyre lui sont étrangers, en son âme et conscience, de même Aristophane et Pétrone sont intraduisibles pour lui. Toute la gravité, la lourdeur, la pompe solennelle, toutes les variétés du style ennuyeux sont développées chez les Allemands dans leurs variétés infinies. Qu’on me pardonne d’affirmer que la prose de Gœthe elle-même, avec son mélange de gravité et de préciosité, ne fait pas exception, étant l’image du « bon vieux temps », dont elle fait partie, et l’expression du goût allemand à une époque où il y avait encore un « goût allemand »: lequel était un goût rococo, in moribus et artibus. Lessing doit être excepté, grâce à sa nature de comédien qui comprenait bien des choses et s’y entendait, lui qui ne fut pas en vain le traducteur de Bayle et aimait à se réfugier dans le voisinage de Diderot et de Voltaire et, plus volontiers encore, dans celui des auteurs comiques latins. Car Lessing aimait aussi l’indépendance dans l’allure du style, la fuite hors d’Allemagne. Mais comment la langue allemande, fût-ce même dans la prose d’un Lessing, pourrait-elle imiter l’allure d’un Machiavel qui nous fait respirer dans son Principe l’air fin et sec de Florence, et qui ne peut s’empêcher de présenter les circonstances les plus graves avec un allegrissimo indiscipliné, peut-être non sans un malicieux plaisir d’artiste, à la pensée de la contradiction où il se hasarde; car il y a là des pensées lointaines, lourdes, dures et dangereuses, présentées à une allure de galop, avec une bonne humeur pleine de pétulance. Qui, enfin, oserait s’atteler à une traduction allemande de Pétrone lequel, plus qu’aucun musicien jusqu’à présent, fut le maître du presto, par ses inventions, ses trouvailles, ses expressions ! Qu’importent, du reste, tous les marécages du monde méchant et malade, même du « monde antique », lorsque, comme lui, on possède les ailes du vent, le souffle et l’haleine du vent, son dédain libérateur qui assainit tout, qui fait tout courir ! Et, pour ce qui en est d’Aristophane, cet esprit qui transfigure et complète, en faveur duquel on pardonne au monde grec tout entier d’avoir existé — en supposant qu’on ait compris, jusqu’au fond, tout ce qui a besoin de pardon, de transfiguration, — je ne sais rien qui m’ait fait autant rêver au sujet de la mystérieuse nature de sphinx de Platon que ce petit fait, heureusement conservé: sous l’oreiller de son lit de mort, on n’a pas trouvé de « bible », rien qui fût égyptien, pythagoricien ou platonicien — mais un Aristophane ! Comment Platon aurait-il supporté la vie — une vie grecque à laquelle il avait dit non — sans un Aristophane ! —