Facta Ficta

vitam impendere vero

Nietzsche thinking

[MA-100]

Pudeur

La pudeur existe partout où il y a un « mystère »; or c’est là une conception religieuse qui avait, aux plus anciens temps de la civilisation humaine, une grande extension. Partout il y avait des domaines limités, dont le droit divin interdisait l’accès, sauf sous certaines conditions: c’était tout d’abord une interdiction toute locale, en ce sens que certains emplacements ne pouvaient être foulés par le pied des profanes et que, dans leur voisinage, ceux-ci ressentaient épouvante et inquiétude. Ce sentiment fut de diverses façons transporté à d’autres objets, par exemple aux rapports sexuels, qui, étant un privilège et un adyton de l’âge plus mûr, devaient être soustraits aux regards de la jeunesse, pour son bien: la garde de ces rapports et leur sanctification étaient l’affaire de plusieurs divinités qui étaient censées placées en sentinelles dans l’appartement nuptial. (En langue turque, cet appartement s’appelle par cette raison Harem, « sanctuaire, » et par conséquent est désigné par le nom usité pour les portiques des mosquées). C’est ainsi que la royauté, centre d’où rayonne la puissance et l’éclat, est pour le sujet un mystère plein de secret et de pudeur: effet dont bien des restes se font encore sentir aujourd’hui chez des peuples qui ne comptent pas d’ailleurs parmi les pudiques. De même le monde entier des états intérieurs, ce qu’on appelle l’ « âme », est actuellement encore un mystère pour tous les non-philosophes, à la suite de ce que, pendant un temps infini, il fut cru digne d’une origine divine, de relations avec la divinité: il est par suite un adyton et éveille la pudeur.