Facta Ficta

vitam impendere vero

Nietzsche thinking

[MA-136]

De l’ascétisme et de la sainteté chrétienne

— Autant des penseurs isolés se sont efforcés d’établir, dans ces rares manifestations de la moralité qu’on a coutume d’appeler ascétisme et sainteté, une chose miraculeuse, sous le nez de laquelle tenir la lumière d’une explication raisonnable est déjà presque un crime et un sacrilège: autant est forte à son tour la séduction qui mène à ce crime. Une puissante impulsion naturelle a de tout temps conduit à protester en général contre ces manifestations; la science étant, comme il a été dit, une imitation de la nature, se permet au moins d’élever des objections contre leur prétendue inexplicabilité, pour ne pas dire inaccessibilité. Il est vrai que jusqu’ici elle n’y a pas réussi: ces manifestations sont toujours inexpliquées, à la grande satisfaction des dits vénérateurs du merveilleux moral. Car, à parler en général: l’inexpliqué doit être absolument inexplicable, l’inexplicable absolument anti-naturel, surnaturel, miraculeux — voilà l’axiome qui se formule dans les âmes de tous les religieux et métaphysiciens (des artistes aussi, lorsqu’ils sont en même temps penseurs); au lieu que l’homme de science voit dans cet axiome le «mauvais principe». — La première vraisemblance générale à laquelle on arrivera par la considération de la sainteté et de l’ascétisme est celle-ci, que leur nature est compliquée: car presque partout, dans le monde physique comme dans le monde moral, on s’est heureusement trouvé de réduire le prétendu merveilleux au compliqué, au multiplement conditionné. Risquons-nous donc à isoler d’abord quelques impulsions de l’âme des saints et des ascètes et, pour finir, à nous les figurer combinées ensemble.