Facta Ficta

vitam impendere vero

Nietzsche thinking

[MA-145]

Le parfait est censé ne s’être pas fait

Nous sommes habitués, en face de toute chose parfaite, à ne pas poser le problème de sa formation: mais à jouir du présent, comme s’il avait surgi du sol par un coup de magie. Vraisemblablement, nous sommes là encore sous l’influence d’un antique sentiment mythologique. Nous subissons presque encore la même impression (par exemple devant un temple grec comme celui de Pæstum) que si un beau matin un dieu avait, en se jouant, bâti sa demeure de ces blocs énormes: ou plutôt, que si une âme avait soudain pénétré par enchantement dans une pierre et voulait maintenant parler par son entremise. L’artiste sait que son œuvre n’aura son plein effet que si elle éveille la croyance à une improvisation, à une miraculeuse soudaineté de production, et ainsi il aide volontiers à cette illusion et introduit dans l’art ces éléments d’inquiétude enthousiaste, de désordre aux tâtonnements d’aveugle, de rêve qui cesse au commencement de la création, comme un moyen de tromper, pour disposer l’âme du spectateur ou de l’auditeur en sorte qu’elle croie au jaillissement soudain du parfait. La science de l’art doit, comme il s’entend de soi, contredire de la façon la plus expresse cette illusion, et démontrer les conclusions erronées et les mauvaises habitudes de l’intelligence,, grâce auxquelles elle tombe dans les filets de l’artiste.