Facta Ficta

vitam impendere vero

Nietzsche thinking

[MA-18]

Questions fondamentales de la métaphysique

Quand une fois l’histoire de la genèse de la pensée sera écrite, la phrase, suivante d’un logicien distingué se trouvera éclairée d’une nouvelle lumière: « La loi générale originelle du sujet connaissant consiste dans la nécessité intérieure de reconnaître tout objet en soi, dans son essence propre, pour un objet identique à lui-même, ainsi existant par lui-même et au fond restant toujours semblable et immobile, bref pour une substance. » Même cette loi, qui est nommée ici "originelle", est le résultat d’un devenir; on montrera un jour comment, dans les organismes inférieurs, cette tendance naît peu à peu: comment les faibles yeux de taupes de ces organisations ne voient d’abord rien que toujours l’identique; comment ensuite, lorsque les diverses émotions de plaisir et de déplaisir se font plus sensibles, peu à peu sont distinguées diverses substances, mais chacune avec un seul attribut, c’est-à-dire une relation unique avec un tel organisme. — Le premier degré du logique est le jugement: dont l’essence consiste, selon l’affirmation des meilleurs logiciens, dans la croyance. Toute croyance a pour fondement la sensation de l’agréable ou du pénible par rapport au sujet sentant. Une troisième sensation nouvelle, résultat de deux sensations isolées précédentes, est le jugement dans sa forme la plus inférieure. — Nous, êtres organisés, rien ne nous intéresse à l’origine en chaque chose que son rapport avec nous en ce qui concerne le plaisir et la peine. Entre les moments où nous prenons conscience de ce rapport, entre les états de sensation, se placent des moments de repos, de non-sensation: alors le monde et toute chose sont pour nous sans intérêt, nous ne remarquons aucune modification en eux (de même que maintenant encore un homme violemment intéressé ne remarque pas que quelqu’un passe auprès de lui). Pour les plantes, toutes les choses sont ordinairement immobiles, éternelles, chaque chose identique à elle-même. C’est de la période des organismes inférieurs que l’homme a hérité la croyance qu’il y a des choses identiques (seule l’expérience formée par la science la plus haute contredit cette proposition). La croyance primitive de tout être organisé, au début, est peut-être même que tout le reste du monde est un et immobile. — Ce qui est le plus éloigné à l’égard de ce degré primitif du logique, c’est l’idée de causalité; quand l’individu sentant s’observe lui-même, il tient toute sensation, toute modification, pour quelque chose d’isolé, c’est-à-dire d’inconditionné, d’indépendant: elle surgit de nous sans lien avec l’antérieur ou l’ultérieur. Nous avons faim, mais nous ne pensons pas à l’origine que l’organisme veut être entretenu; mais cette sensation paraît se faire sentir sans raison ni but, elle s’isole et se tient pour arbitraire. Ainsi: la croyance à la liberté du vouloir est une erreur originelle de tout être organisé, qui remonte au moment où les émotions logiques existent en lui; la croyance à des substances inconditionnées et à des choses semblables est également une erreur, aussi ancienne, de tout être organisé. Or, étant donné que toute métaphysique s’est principalement occupée de substances et de liberté du vouloir, on peut la désigner comme la science qui traite des erreurs fondamentales de l’homme, mais cela comme si c’étaient des vérités fondamentales.