Facta Ficta

vitam impendere vero

Nietzsche thinking

[MA-216]

Geste et langage

Plus ancienne que le langage est l’imitation des gestes, qui se produit involontairement et, maintenant encore, malgré une restriction générale du langage des gestes et une domination acquise des muscles, est si forte que nous ne pouvons regarder un visage en mouvement sans innervation de notre visage (on peut observer que la feinte d’un bâillement provoque, chez une personne qui la voit, un bâillement naturel). Le geste imité ramenait celui qui l’imitait au sentiment qu’il exprimait dans le visage ou le corps de l’imité. C’est ainsi que l’on apprenait à se comprendre: c’est ainsi encore que l’enfant apprend à comprendre la mère. En général, des sentiments douloureux peuvent bien s’exprimer aussi par des gestes, qui causent de leur côté une douleur (par exemple s’arracher les cheveux, se frapper la poitrine, défigurer et contracter violemment les muscles de la face). Inversement: des gestes de plaisir étaient eux-mêmes plaisants et se prêtaient par là facilement à la communication de l’intelligence (le rire étant la manifestation du chatouillement, qui est plaisant, servait à son tour à l’expression d’autres sensations plaisantes). Dès qu’on s’entendait par gestes, il pouvait naître à son tour une symbolique des gestes: je veux dire qu’on pouvait s’entendre sur un langage de sons, à la condition qu’on produisît d’abord le son et le geste (auquel il s’ajoutait comme symbole), plus tard seuement le son. — Il semble alors qu’à une époque ancienne il soit souvent arrivé la même chose qui maintenant se produit à nos yeux et à nos oreilles dans le développement de la musique, notamment de la musique dramatique: tandis que d’abord la musique, dépourvue de la danse et de la mimique (langage des gestes) qui l’explique, est un vain bruit, l’oreille, par une longue accoutumance à cette association de musique et de mouvement, est instruite à interpréter sur-le-champ les figures de sons et arrive enfin à un degré de compréhension rapide, où elle n’a plus du tout besoin du mouvement visible et comprend sans lui le compositeur. On parle alors de musique absolue, c’est-à-dire de musique où tout est sur-le-champ compris symboliquement, sans plus de secours auxiliaire.