Facta Ficta

vitam impendere vero

Nietzsche thinking

[MA-234]

Valeur de la mi-chemin

Peut-être la production du gcnie n’est-elle réservée qu’à une période de temps limitée de l’humanité. Car on ne peut attendre encore de l’avenir de l’humanité tout ce que les conditions très déterminées de n’importe quel passé pouvaient seules produire; par exemple, les étonnants effets du sentiment religieux. Celui-ci même a eu son temps et beaucoup de très bonnes choses ne peuvent plus seproduire, parce que de lui seul elles pouvaient se produire. Ainsi il n’existera plus désormais un horizon de vie et de civilisation borné par la religion. Peut-être même le type du saint n’est-il possible que dans une certaine servitude de l’intelligence, dont, à ce qu’il semble, c’en est fait pour tout l’avenir. Et de même la supériorité de l’intelligence a peut-être été réservée à un seul âge de l’humanité: elle s’est développée — et se développe, car nous vivons encore dans cet âge — quand une énergie extraordinaire de volonté, longtemps accumulée, s’est exceptionnellement vouée à des fins intellectuelles par héritage. C’en sera fait de cette supériorité, lorsque cette fureur et cette énergie ne seront plus retenues par degrands freins. L’humanité arrive peut-être, à moitié de sa route, à la moitié de son temps d’existence, plus près de son but propre qu’à la fin. Il se pourrait que des forces, celles par qui l’art par exemple est conditionné, vinssent à périr complètement; le plaisir du mensonge, de l’imprécis, du symbolisme, de l’ivresse, de l’extase, pourrait tomber dans le mépris. Oui, si jamais la vie est organisée en un État parfait, il n’y aura plus à tirer du présent aucun motif de poésie, et ce seraient alors uniquement les hommes arriérés qui demanderaient une fiction poétique. Ceux-là jetteraient alors du moins avec mélancolie un regard en arrière, vers les temps de l’État imparfait, de la société à demi barbare, vers nos temps.