[MA-237]
Renaissance et Réforme
La Renaissance italienne recélait en son sein toutes les forces positives auxquelles est due la civilisation moderne: l'émancipation de la pensée, le dédain des autorités, le triomphe de la culture sur la morgue de la naissance, l'enthousiasme pour la science et le passé scientifique de l'humanité, l'affranchissement de l'individu, la flamme de la véracité, l'aversion pour la pure apparence et la recherche de l'effet (flamme qui éclatait dans une multitude de caractères d'artistes, exigeant d'eux-mêmes, avec une suprême pureté morale, la perfection et rien que la perfection pour leurs œuvres); mieux encore, la Renaissance avait des forces positives qui n’ont pas encore, jusqu'à présent, retrouvé la même puissance dans notre civilisation moderne. Ce fut l'âge d'or de ce millénaire, en dépit de toutes ses taches et de tous ses vices. En contraste sur ce fond, voici la Réforme trie, énergique protestation d'esprits attardés qui n'avaient encore leur content de la vision médiévale du monde et ressentaient un profond malaise, au lieu de la jubilation voulue, à en voir les signes de décomposition, cette platitude extraordinaire que devenait la vie religieuse et leur obstination de Nordiques, ils ramenèrent les hommes en arrière, provoquèrent, par des violences dignes d'un état de siège, la riposte de la Contre-Réforme, christianisme catholique de légitime défense, et retardèrent de deux ou trois siècles le plein épanouissement et la domination incontestée des sciences, tout autant qu'ils rendirent peut-être à jamais impossible la fusion complète de l'esprit antique et moderne. La grande tâche de la Renaissance ne put être menée à bien, empêchée qu'elle fut par la protestation du génie allemand demeuré entre-temps en arrière (lui qui, au moyen- âge avait eu assez de raison pour franchir et refranchir les Alpes pour son salut). Il a fallu le hasard d'une extraordinaire constellation politique pour que Luther pût se maintenir et cette protestation prendre force: car l'empereur le protégeait, pour se servir de son innovation comme moyen de pression contre le pape, et le pape le favorisait aussi en secret pour faire des princes d'Empire protestants un contrepoids à l'empereur. Sans cette étrange connivence, Luther eût été brûlé comme Huss — l'aurore de la philosophie des lumières aurait paru un plus tôt peut- être et avec un éclat plus beau que nous ne pouvons aujourd'hui l'imaginer.