Facta Ficta

vitam impendere vero

Nietzsche thinking

[MA-3]

Estime des vérités sans apparence

C’est la marque d’une plus haute civilisation, de faire des petites vérités sans apparence, qui ont été trouvées par une méthode sévère, plus d’estime que des erreurs bienfaisantes et éblouissantes qui dérivent d’âges et d’hommes métaphysiques et artistiques. D’abord on a contre les premières l’injure sur les lèvres, comme s’il ne pouvait y avoir aucune égalité de droits entre elles: autant celles-ci sont modestes, honnêtes, calmes, humbles même en apparence, autant celles-là se montrent belles, brillantes, bruyantes, peut-être même béatifiantes. Mais ce qui est conquis de haute lutte, certain, durable et par là même encore gros de conséquences pour toute connaissance ultérieure, est après tout le plus haut; s’y tenir est viril et prouve de la vaillance, de l’honnêteté, de la tempérance. Peu à peu, ce n’est plus seulement l’individu, mais l’ensemble de l’humanité qui s’élève à cette virilité, lorsqu’elle s’est accoutumée enfin à faire une estime plus haute des connaissances assurées, durables et a perdu toute croyance à l’inspiration et à la communication miraculeuse des vérités. — Les fervents des formes, il est vrai, avec leur échelle du beau et du sublime, auront d’abord de bonnes raisons de railler, dès que l’estime des vérités sans apparence et de l’esprit scientifique commence à prévaloir: mais c’est seulement parce que leur œil ne s’est pas encore ouvert à l’attrait de la forme la plus simple ou parce que les hommes élevés dans cet esprit n’en sont pas longtemps encore pleinement et intimement pénétrés, si bien que sans y penser ils poursuivent encore de vieilles formes (et cela assez mal, comme le fait quiconque ne met plus beaucoup d’intérêt à une chose). Autrefois, l’esprit n’était pas mis en réquisition par une stricte méthode de penser, alors son activité consistait à bien filer des symboles et des formes. Cela s’est modifié; toute application sérieuse au symbolisme est devenue le caractère de la civilisation inférieure. De même que nos arts mêmes deviennent toujours plus intellectuels, nos sens plus spirituels, et de même que par exemple on juge aujourd’hui tout autrement de ce qui résonne bien aux sens qu’il y a cent ans: de même aussi les formes de notre vie deviennent toujours plus spirituelles, plus laides peut-être pour l’œil des âges antérieurs, mais seulement parce qu’il n’était pas capable de voir combien l’empire de la beauté intérieure, spirituelle, se fait sans cesse plus profond et plus large, et dans quelle mesure nous tous aujourd’hui pouvons mettre plus de prix à la vision spirituelle, intérieure, qu’à la plus belle composition ou à l’édifice le plus sublime.