[MA-453]
L’homme de barre des passions
L’homme d’État provoque des passions publiques pour avoir le profit de la passion contraire qu’elles éveillent. Pour prendre un exemple: un homme d’État allemand sait bien que l’Église catholique n’aura jamais des desseins identiques à ceux de la Russie, que même elle s’unirait aux Turcs plutôt qu’à elle; d’autre part il sait que tout danger d’alliance entre France et Russie estime menace pour l’Allemagne. S’il peut alors arriver à faire de la France le foyer et le rempart de l’Église catholique, il se trouve avoir pour longtemps écarté ce danger. Il a par conséquent un intérêt à montrer de la haine contre les catholiques et, par des hostilités de toute nature, à changer ceux qui reconnaissent l’autorité du pape en une puissance "politique passionnée, qui sera hostile à la politique allemande et naturellement s’amalgamera avec la France, en qualité d’adversaire de l’Allemagne: il a pour but la catholicisation de la France aussi nécessairement que Mirabeau voyait dans la décatholicisation le salut de sa patrie. — Un État se propose ainsi l’obscurcissement de millions de cerveaux chez un autre État, pour tirer son avantage de cet obscurcissement. C’est la même tendance d’esprit qui prête un appui à l’établissement dans l’État voisin de la forme républicaine — le désordre organisé, comme dit Mérimée — pour l’unique raison qu’elle admet que cette forme de gouvernement rend le peuple plus faible, plus divisé et moins propre à la guerre.