Facta Ficta

vitam impendere vero

Nietzsche thinking

[MA-626]

Sans mélodie

Il y a des hommes à qui un perpétuel repos sur soi-même et une disposition harmonique de toutes leurs facultés est tellement propre que toute activité en vue d’un but leur répugne. Ils ressemblent à une musique qui ne se compose que d’accords harmoniques longuement tenus, sans que jamais s’y montre même le commencement d’un mouvement mélodique enchaîné. Tout mouvement communiqué du dehors ne sert qu’à redonner aussitôt à l’esquif un nouvel équilibre sur la mer de la consonance harmonique. Les hommes modernes éprouvent de coutume une impatience extrême quand ils rencontrent de pareilles natures qui ne produisent rien sans qu’on puisse dire d’elles qu’elles ne sont rien. Mais il y a des dispositions particulières où leur vue amène cette question extraordinaire: À quoi bon en somme de la mélodie? pourquoi ne nous suffit-il pas que notre vie se reflète paisiblement dans un lac profond? — Le moyen-âge était plus riche que le nôtre en natures pareilles. Qu’il est rare de rencontrer encore un homme qui peut ainsi vivre sans cesse en paix et joie avec lui-même, même dans la foule, se disant comme Gœthe: « Le meilleur est le calme profond où je vis et grandis à l’égard du monde, acquérant ce qu’il ne saurait me prendre par le fer et le feu ! »