Facta Ficta

vitam impendere vero

Nietzsche thinking

[MA-89]

Vanité

Nous nous soucions de la bonne opinion des hommes, d’abord parce qu’elle nous est utile, puis parce que nous voulons nous en faire des amis (les enfants de leurs parents, les écoliers de leurs maîtres et les gens bienveillants en général de tout le reste des hommes). C’est seulement quand la bonne opinion des hommes a du prix pour quelqu’un, abstraction faite de son avantage ou de son désir de faire plaisir, que nous parlons de vanité. Dans ce cas, l’homme veut se faire plaisir à lui-même, mais aux dépens des autres hommes, ou bien en les menant à se faire une fausse opinion de lui, ou bien vise à un degré de « bonne opinion » où elle doit devenir pénible à tous les autres (en excitant l’envie). L’individu veut d’ordinaire, par l’opinion d’autrui, accréditer et fortifier à ses propres yeux l’opinion qu’il a de soi; mais la puissante accoutumance à l’autorité — accoutumance aussi vieille que l’homme — mène beaucoup de gens à appuyer même sur l’autorité leur propre foi en eux, partant à ne la recevoir que de la main d’autrui: ils se fient au jugement des autres plus qu’au leur propre. — L’intérêt qu’on prend à soi-même, le désir de se satisfaire, atteint chez le vaniteux un niveau tel qu’il conduit les autres à une estime de soi-même fausse, trop élevée, et qu’ensuite il s’en rapporte néanmoins à l’autorité des autres: ainsi il introduit l’erreur, et cependant y donne créance. — Il faut donc bien s’avouer que les vaniteux ne veulent pas tant plaire à autrui qu’à eux-mêmes, et qu’ils vont assez loin pour y négliger leur avantage: car ils mettent de l’importance souvent à mettre leurs semblables en des dispositions défavorables, hostiles, envieuses, partant désavantageuses pour eux, rien que pour avoir la satisfaction de leur Moi, le contentement de soi.