Facta Ficta

vitam impendere vero

Nietzsche thinking

[MA-VM-49]

Dans le miroir de la nature

Ne connaît-on pas assez exactement le caractère d’un homme lorsque l’on entend qu’il aime à se promener parmi les grands blés blonds, qu’il préfère, à toutes autres, les nuances éteintes et jaunies que prennent à l’automne les forêts et les fleurs, car ces nuances indiquent quelque chose de plus beau que ce que la nature est capable de faire, — qu’il se sent très à l’aise sous les grands noyers au gras feuillage, comme si c’étaient là ses proches parents, — que c’est sa grande joie d’être dans les montagnes, de rencontrer ces petits lacs écartés, d’où la solitude elle-même semble lui jeter un regard, — qu’il aime cette grise tranquillité d’un crépuscule de brume, se glissant, aux soirs d’automne et de printemps, jusque sous les fenêtres, comme pour isoler, avec des rideaux de velours, de toute espèce de bruit insolite,— qu’il considère toute roche brute comme un témoin du passé, avide de parler, vénérable pour lui dès son enfance, — et qu’enfin la mer, avec sa mouvante peau de serpent et sa beauté de fauve, lui est toujours demeurée et lui demeurera toujours étrangère? — En effet, par là quelque chose de la caractéristique de cet homme est donné, mais le reflet de la nature ne dit pas que ce même homme, avec tous ses sentiments idylliques (et je ne dis pas « malgré eux »), pourrait fort bien être peu charitable, parcimonieux et présomptueux. Horace, qui s’entendait, à pareilles choses, a placé le sentiment le plus tendre pour la vie de campagne dans la bouche et dans l’âme d’un usurier romain avec le célèbre: « beatus ille qui procul negotiis ».