[MA-WS-266]
Les impatients
C’est justement celui qui est dans son devenir qui ne veut pas admettre le devenir: il est trop impatient pour cela. Le jeune homme ne veut pas attendre jusqu’à ce que, après de longues études, des souffrances et des privations, son image des hommes et des choses devienne complète: il accepte donc de confiance une autre image entièrement terminée et qu’on lui offre, il l’accepte, comme s’il y trouvait d’avance les lignes et les couleurs de son tableau; il se jette à la face d’un philosophe, d’un poète, et pendant longtemps il faut qu’il fasse des corvées et qu’il se renie lui-même. Il apprend ainsi beaucoup de choses, mais souvent il y oublie aussi ce qui est le plus digne d’être appris — la connaissance de soi-même; il reste par conséquent un partisan durant toute sa vie. Hélas ! il faut surmonter beaucoup d’ennui et travailler à la sueur de son front jusqu’à ce que l’on ait trouvé ses couleurs, son pinceau, sa toile ! — Et l’on est encore bien loin alors d’être maître de son art de vivre, — mais on travaille du moins, en maître, dans son propre atelier.