Facta Ficta

vitam impendere vero

Nietzsche thinking

[MA-WS-308]

À l’heure de midi

Lorsque, dans la vie de quelqu’un, le matin fut actif et orageux, quand vient le midi de la vie, l’âme est prise d’une singulière envie de repos qui peut durer des mois et des années. Le silence se fait autour de cet homme, le son des voix s’atténue de plus en plus, le soleil tombe à pic sur sa tête. Sur une prairie, au bord de la forêt, il voit dormir le grand Pan; toutes les choses de la nature se sont endormies avec lui, une expression d’éternité sur la figure — il lui semble du moins qu’il en est ainsi. Il ne désire rien, il n’a souci de rien, son cœur s’arrête, seul son œil vit, — c’est une mort au regard éveillé. L’homme voit là beaucoup de choses qu’il n’a jamais vues et tout ce qu’il peut apercevoir est enveloppé d’un tissu de lumière, noyé en quelque sorte. Il se sent heureux avec cela, mais c’est un bonheur lourd, très lourd. — Mais enfin le vent s’élève de nouveau dans les arbres, midi est passé, et la vie l’attire encore vers elle, la vie aux yeux aveugles, suivie de son cortège impétueux: les désirs et les duperies, l’oubli et les jouissances, l’anéantissement et la fragilité. Et c’est ainsi que vient le soir, plus orageux et plus actif que ne fut même le matin. — Pour les hommes véritablement actifs, ces états de connaissance prolongés paraissent presque inquiétants et maladifs, mais non pas désagréables.