Facta Ficta

vitam impendere vero

Nietzsche thinking

[MA-373]

Prétention

Il n’y a rien de quoi l’on doive tant se garder que de la croissance de cette mauvaise herbe qu’on appelle prétention et qui nous gâte les moissons les meilleures; car il peut y avoir prétention dans la cordialité, dans les témoignages de respect, dans la confiance bienveillante, dans la caresse, dans le conseil amical, dans l’aveu des fautes, dans la pitié pour autrui, et toutes ces belles choses éveillent de la répugnance, lorsque cette herbe croît chez elles. Le prétentieux, c’est-à-dire celui qui veut avoir plus d’importance qu’il n’en a ou qu’on ne lui en prête, fait toujours un calcul faux. Il est vrai qu’il s’assure le succès d’un moment, en ce sens que les gens devant qui il se montre prétentieux lui donnent ordinairement la mesure d’honneur qu’il réclame, par timidité ou par laisser-aller; mais ils en tirent une méchante vengeance, en ce qu’ils retirent l’équivalent de ce qu’il a réclamé en trop de la valeur qu’ils lui attribuaient jusqu’alors. Il n’est rien que les hommes se fassent payer plus cher que l’humiliation. Le prétentieux peut rendre tellement suspect et mesquin aux yeux des autres son grand mérite réel, qu’on marche dessus sans s’essuyer les pieds. — Même on ne devrait se permettre une attitude fière que là où l’on est bien sûr de n’être pas mal compris et regardé comme prétentieux, par exemple devant son ami ou sa femme. Car il n’y a pas dans le commerce avec les hommes de plus grande folie que de s’attirer la réputation de prétention; cela est pire encore que de n’avoir pas appris à mentir avec courtoisie.