Facta Ficta

vitam impendere vero

Nietzsche thinking

[JGB-221]

Il m’arrive, disait un pédant moraliste, marchand de...

Il m’arrive, disait un pédant moraliste, marchand de futilités, d’honorer et de traiter avec distinction un homme désintéressé; non pourtant parce qu’il est tel, mais parce qu’il me semble avoir le droit d’être utile à un autre homme à ses propres dépens. En un mot, il s’agit toujours de savoir qui est celui-ci et qui est celui-là. Pour celui qui aurait, par exemple, été destiné et créé en vue du commandement, l’humble effacement et l’abnégation ne seraient pas des vertus, mais le gaspillage d’une vertu, à ce qu’il me semble. Toute morale non-égoïste qui se croit absolue et s’applique à chacun ne pèche pas seulement contre le goût: elle est une excitation aux péchés d’omission, une séduction de plus sous le masque de la philanthropie — et précisément une séduction et un dommage envers les hommes supérieurs, rares et privilégiés. Il faut forcer les morales à s’incliner tout d’abord devant la hiérarchie, il faut leur faire prendre à cœur leur arrogance jusqu’à ce qu’elles comprennent enfin clairement qu’il est immoral de dire: « Ce qui est juste pour l’un l’est aussi pour l’autre. » Ainsi parlait mon bonhomme de pédant moraliste. Méritait-il qu’on se moquât de lui lorsqu’il rappelait les morales à la moralité? Mais il ne faut pas avoir trop raison, si l’on veut avoir les rieurs de son côté; un petit soupçon de torts peut être un indice de bon goût.