[JGB-257]
Toute élévation du type « homme » a été jusqu’à présent...
Toute élévation du type « homme » a été jusqu’à présent l’œuvre d’une société aristocratique — et il en sera toujours ainsi, l’œuvre d’une société qui a foi en une longue succession dans la hiérarchie, en une accentuation des différences de valeur d’homme à homme, et qui a besoin de l’esclavage dans un sens ou dans un autre. Sans le sentiment de la distance, tel qu’il se dégage de la différence profonde des classes, du regard scrutateur et hautain que la classe dirigeante jette sans cesse sur ses sujets et ses instruments, sans l’habitude de commandement et d’obéissance, tout aussi constante dans cette caste, une habitude qui pousse à tenir à distance et à opprimer, cet autre sentiment plus mystérieux n’aurait pu se développer, ce désir toujours nouveau d’augmenter les distances dans l’intérieur de l’âme même, ce développement de conditions toujours plus hautes, plus rares, plus lointaines, plus larges, plus démesurées, bref l’élévation du type « homme », le perpétuel « art de se vaincre soi-même » pour employer une formule morale en un sens supra-moral. Sans doute, il ne faut pas se faire d’illusions humanitaires sur l’histoire des origines d’une société aristocratique (qui est la condition pour l’élévation du type « homme »). La vérité est dure. Disons-le sans ambage, montrons comment jusqu’ici a débuté sur terre toute civilisation élevée. Des hommes d’une nature restée naturelle, des barbares dans le sens le plus redoutable du mot, des hommes de proie en possession d’une force de volonté et d’un désir de puissance encore inébranlés se sont jetés sur des races plus faibles, plus policées, plus pacifiques, peut-être commerçantes ou pastorales, ou encore sur des civilisations amollies et vieillies, chez qui les dernières forces vitales s’éteignaient dans un brillant feu d’artifice d’esprit et de corruption. La caste noble fut à l’origine toujours la caste barbare. Sa supériorité ne résidait pas tout d’abord dans sa force physique, mais dans sa force psychique. Elle se composait d’hommes plus complets (ce qui a tous les degrés, revient à dire, des « bêtes plus complètes »).