[JGB-263]
Il y a un instinct pour le rang qui, plus que toute autre...
Il y a un instinct pour le rang qui, plus que toute autre chose, est déjà l’indice d’un rang supérieur; il y a une volupté dans les nuances du respect qui fait deviner l’origine et les habitudes nobles. La délicatesse, la valeur et la hauteur d’une âme sont mises à une périlleuse épreuve lorsque passe, devant cette âme, quelque chose qui est de premier ordre, mais qui n’est pas encore gardé contre les attaques importunes et grossière par l’effroi qu’inspire l’autorité; quelque chose qui suit son chemin, qui ne porte pas encore d’estampille, quelque chose d’inexploré, plein de tentations, peut-être voilé et déguisé volontairement, comme si c’était une vivante pierre de touche. Celui dont c’est la tâche et l’habitude de sonder les âmes, se servira des formes multiples de cet art pour déterminer la valeur dernière d’une âme, l’ordre inné et inébranlable auquel appartient celle-ci; il la mettra à l’épreuve pour déterminer son instinct de respect. Différence engendre haine: la vulgarité de certaines natures jaillit soudain à la lumière comme l’eau malpropre lorsqu’un calice sacré, un joyau précieux sorti du mystère d’un écrin ou un livre marqué au sceau d’une vaste destinée passe au grand jour; et d’autre part il y a un silence involontaire, une hésitation de l’œil, un arrêt dans le geste qui expriment qu’une âme sent l’approche de quelque chose qui est digne de vénération. La façon dont le respect de la Bible a généralement été maintenu jusqu’à présent en Europe est peut-être le meilleur élément de discipline et de raffinement des mœurs dont l’Europe soit redevable au christianisme. Des livres d’une telle profondeur et d’une importance aussi suprême ont besoin de la tyrannie d’une autorité qui vient du dehors, pour arriver ainsi à cette durée de milliers d’années indispensable pour les saisir et les comprendre entièrement. On a fait un grand pas en avant lorsqu’on a fini par inculquer aux grandes masses (aux esprits plats qui ont la digestion rapide) ce sentiment qu’il est défendu de toucher à tout, qu’il y a des événements sacrés où elles n’ont accès qu’en ôtant leurs souliers et auxquels il ne leur est pas permis de toucher avec des mains impures, — c’est peut-être la meilleure façon de leur faire comprendre l’humanité. Au contraire, rien n’est aussi répugnant, chez les êtres soi-disant cultivés, chez les sectateurs des « idées modernes », que leur manque de pudeur, leur insolence familière de l’œil et de la main qui les porte à toucher à tout, à goûter de tout et tâter de tout; et il se peut qu’aujourd’hui dans le peuple, surtout chez les paysans, il y ait plus de noblesse relative du goût, plus de sentiment de respect, que dans ce demi-monde particulier des esprits qui lisent les journaux, chez les gens cultivés.