[JGB-270]
L’orgueil et le dégoût intellectuel chez l’homme qui a...
L’orgueil et le dégoût intellectuel chez l’homme qui a profondément souffert — le rang est déjà presque déterminé par le degré de souffrance qu’un homme peut endurer, — la certitude terrible, dont l’homme est tout imprégné et coloré, la certitude de savoir plus, grâce à sa souffrance, que ne peuvent savoir les plus intelligents et les plus sages, de connaître des mondes lointains et effrayants dont « vous ne savez rien », d’y être « comme chez soi »… cet orgueil de la souffrance, orgueil spirituel et muet, cette fierté de l’élu par la connaissance, de l’« initié », de la victime presque sacrifiée, croit toutes formes de déguisement nécessaires pour se protéger du contact des mains importunes et compatissantes et en général de tout ce qui n’est pas son égal dans la souffrance. La profonde douleur rend noble; elle sépare. Une des formes les plus délicates du déguisement c’est un certain épicurisme, une parade de hardiesse dans le goût, une affectation de prendre la douleur à la légère et de se défendre contre toute tristesse et toute profondeur. Il y a des « hommes gais » qui se servent de la gaîté, parce que, à cause d’elle, on se méprend sur leur compte, mais ils veulent précisément qu’on se méprenne. Il y a des « hommes scientifiques » qui se servent de la science, parce qu’elle leur donne un aspect gai, et parce que la science fait conclure qu’ils sont superficiels, mais ils veulent induire à une fausse conclusion. Il y a des esprits libres et impudents qui voudraient cacher et nier qu’ils ont le cœur brisé, mais fièrement incurable (le cynisme d’Hamlet — le cas Galiani), et parfois la folie même est un masque qui cache un savoir fatal et trop sûr. — D’où il appert que c’est le fait d’une humanité délicate d’avoir du respect « pour le masque » et de ne pas employer, en des endroits inopportuns, la psychologie et la curiosité.