Facta Ficta

vitam impendere vero

Nietzsche thinking

[JGB-47]

Partout où s’est manifestée jusqu’à présent sur la terre...

Partout où s’est manifestée jusqu’à présent sur la terre la névrose religieuse, nous la trouvons liée à trois dangereuses prescriptions de régime: la solitude, le jeûne et la chasteté, mais sans que l’on puisse se rendre compte avec certitude de ce qui est ici la cause, de ce qui est l’effet, et s’il y a là un rapport de cause à effet. On peut émettre un dernier doute, si l’on considère que, tant chez les peuples sauvages que chez les peuples assagis, la volupté la plus soudaine et la plus exubérante fait aussi partie des symptômes les plus fréquents de cette névrose, une volupté qui se transforme ensuite tout aussi rapidement en crises de pénitence, négation du monde et anéantissement de la volonté. Ne pourrait-on interpréter l’une et l’autre tendance comme de l’épilepsie masquée? Mais nulle part on ne devrait davantage s’abstenir des inter­prétations. Nulle part, comme autour du type reli­gieux, ne s’est développé autant de non-sens et de superstition, aucun ne semble avoir intéressé, jusqu’à présent, davantage les hommes et même les philosophes. Il serait vraiment temps de juger un peu plus froidement ce sujet, d’apprendre la circonspection, mieux encore de regarder ailleurs, de s’en aller. — Même à l’arrière-plan de la dernière venue parmi les philosophies, la philosophie schopenhauérienne, se trouve, presque comme problème par excellence, cette épouvantable question de la crise et du réveil religieux. Comment la négation de la volonté est-elle possible? Comment l’homme saint est-il possible? — Il semble vraiment que ce sont ces questions qui firent de Schopenhauer un philosophe et qui le poussèrent à débuter dans la philosophie. Et ce fut une bonne conséquence schopenhauérienne, si son disciple le plus convaincu (peut-être aussi le dernier, pour ce qui concerne l’Allemagne), je veux dire Richard Wagner, paracheva de la même façon l’œuvre de sa vie et finit par mettre à la scène ce type terrible et immortel de Kundry, type vécu en chair et en os. À la même époque les médecins aliénistes de presque tous les pays de l’Europe avaient un prétexte pour l’étudier de près, partout où la névrose religieuse — je l’appelle la « manie » religieuse, — sous le nom d’ « armée du salut », avait produit sa dernière éruption épidémique. — Si l’on se demande ce qui a semblé si extraordinairement intéressant dans l’ensemble de ce phénomène qui apparaît, sous le nom de saint, aux hommes de toutes les classes et de tous les temps, même aux philosophes, on peut répondre que c’est, sans nul doute, l’apparence de miracle que prend ce phénomène, c’est-à-dire la succession immédiate de contrastes, d’états d’âmes qui possèdent des aspects moraux contradictoires. On croyait saisir ici de la façon la plus vivante la transformation d’un « homme méchant » devenant soudain un « saint » et un homme bon. Jusqu’à présent, la psychologie a échoué en cet endroit. N’était-ce pas surtout parce qu’elle s’était placée sous la domination de la morale, parce qu’elle croyait aux oppositions morales des valeurs, parce qu’elle introduisit cette opposition dans les faits, pour y chercher une interprétation? — Comment? Le « miracle » ne serait qu’une erreur d’interprétation? Un manque de philologie?