Facta Ficta

vitam impendere vero

Nietzsche thinking

[MA-109]

Connaissance est douleur

Qu’on aimerait à faire de ces affirmations fausses des homines religiosi, qu’il y a un Dieu, qu’il exige de nous le bien, qu’il est surveillant et témoin de toute action, de tout moment, de toute pensée, qu’il nous aime, que dans tout malheur il veut notre plus grand bien, — qu’on aimerait à en faire l’échange contre des vérités qui seraient aussi salutaires, calmantes et bienfaisantes que ces erreurs ! Mais de telles vérités n’existent pas; la philosophie peut tout au plus leur opposer à son tour des apparences métaphysiques (au fond, également des faussetés). Mais c’est justement ce qui fait la tragédie, qu’on ne peut croire ces dogmes de la religion et de la métaphysique, si l’on a dans la tête et le cœur la stricte méthode de la vérité, et d’un autre côté, qu’on est devenu, par l’évolution de l’humanité, assez tendre, excitable, passionné, pour avoir absolument besoin de moyens de salut et de consolation du genre le plus élevé; d’où vient ainsi le danger que l’homme s’ensanglante au contact de la vérité reconnue, plus exactement: de l’erreur pénétrée. C’est ce qu’exprime Byron en vers immortels: Sorrow is knowledge: they who know the most must mourn the deepest o’er the fatal truth, the Tree of Knowledge is not that of Life . Contre de tels soucis, aucun moyen n’est d’un secours meilleur que d’évoquer la magnifique frivolité d’Horace, au moins pour les pires erreurs et lés éclipses du soleil de l’âme, et de se dire à soi-même avec lui: Quid aeternis minorem Consiliis animam fatigas? Cur non sub alta vel platano vel hac Pinu jacentes — Mais assurément frivolité ou mélancolie de tout degré vaut mieux qu’un recul romantique et une retraite en bon ordre, un rapprochement avec le christianisme, sous quelque forme que ce soit: car avec lui on ne peut, suivant l’état actuel de la connaissance, décidément plus s’entendre, sans souiller incurablement sa conscience intellectuelle et la trahir vis-à-vis de soi-même et d’autrui. Ces douleurs peuvent être assez pénibles: mais on ne peut sans douleur devenir un guide et un éducateur de l’humanité; et malheur à celui qui voudrait l’essayer et n’avoir plus cette pure conscience !