Facta Ficta

vitam impendere vero

Nietzsche thinking

[MA-108]

La double lutte contre le mal

Quand un mal nous atteint, on peut en venir à bout ou bien en en supprimant la cause, ou bien en modifiant l’effet qu’il produit sur notre sensibilité: donc, par un changement du mal en un bien, dont l’utilité ne se révélera peut-être que plus tard. La Religion et l’Art (ainsi que la philosophie métaphysique) s’efforcent de provoquer le changement de sensation, soit par le changement de notre jugement sur les faits de notre vie (par exemple à l’aide du principe: « Dieu châtie celui qu’il aime »), soit en éveillant un plaisir tiré de la douleur, de l’émotion en général (c’est d’où l’art du tragique prend son point de départ). Plus un individu a de penchant à interpréter et à justifier, moins il prendra en considération les causes du mal et moins il les écartera; l’adoucissement et l’assoupissement momentanés, comme ils sont employés par exemple pour le mal de dents, lui suffisent même dans les souffrances les plus graves. Plus l’empire des religions et de tous les arts de narcotisme perd de terrain, plus strictement les hommes se proposent la véritable suppression des maux, ce qui tombe, il est vrai, mal pour les poètes tragiques — car on trouve pour la tragédie toujours moins de matière, parce que le domaine du destin impitoyable, inéluctable, se fait toujours plus étroit, — mais plus mal encore pour les prêtres: car ceux-ci n’ont vécu jusqu’ici que de l’assoupissement des maux humains.