Facta Ficta

vitam impendere vero

Nietzsche thinking

[MA-225]

Esprit libre, conception relative

On appelle esprit libre celui qui pense autrement qu’on ne l’attend de lui à cause de son origine, de ses relations, de sa situation et de son emploi ou à cause des vues régnantes du temps. Il est l’exception, les esprits serfs sont la règle; ceux-ci lui reprochent que ses libres principes doivent communiquer un mal à leur origine, ou bien aboutir à des actions libres, c’est-à-dire à des actions qui ne se concilient pas avec la morale dépendante. De temps à autre, l’on dit aussi que tels ou tels libres principes doivent être dérivés d’une subtilité ou d’une excitation mentale, mais qui parle ainsi n’est que là malice, qui elle-même ne croit pas à ce qu’elle dit, mais veut s’en servir pour nuire: car le libre esprit a d’ordinaire le témoignage de la bonté et de la pénétration supérieure de son intelligence écrit sur son visage si lisiblement que les esprits dépendants le comprennent assez bien. Mais les deux autres dérivations de la libre-pensée sont loyalement entendues; le fait est qu’il se produit beaucoup d’esprits libres de l’une ou de l’autre sorte. Mais ce pourrait être une raison pour que les principes auxquels ils sont parvenus par ces voies fussent plus vrais et plus dignes de confiance que ceux des esprits dépendants. Dans la connaissance de la vérité, il s’agit de ce qu’on l’a, non pas de savoir par quel motif on l’a cherchée, par quelle voie on l’a trouvée. Si les esprits libres ont raison, les esprits dépendants ont tort, peu importe que les premiers soient arrivés au vrai par immoralité, que les autres, par moralité, se soient jusqu’ici tenus au faux. — Au reste, il n’est pas de l’essence de l’esprit libre d’avoir des vues plus justes, mais seulement de s’être affranchi du traditionnel, que ce soit avec bonheur ou avec insuccès. Pour l’ordinaire toutefois il aura la vérité ou du moins l’esprit de la recherche de la vérité de son côté: il cherche des raisons, les autres une croyance.