Facta Ficta

vitam impendere vero

Nietzsche thinking

[MA-282]

Lamento

Ce sont peut-être les avantages de notre époque qui amènent avec eux un recul et, à l’occasion, une dépréciation de la vita contemplativa. Mais il faut bien s’avouer que notre temps est pauvre en grands moralistes, que Pascal, Épictète, Sénèque, Plutarque, sont à présent peu lus, que le travail et le zèle — autrefois escorte de la grande déesse Santé — semblent parfois sévir comme une maladie. Comme le temps manque pour penser et garder le calme dans la pensée, on n’étudie plus les opinions divergentes: on se contente de les haïr. Dans l’énorme hâte de la vie, l’esprit et l’œil sont accoutumés à une vision et à un jugement incomplets et faux, et chacun ressemble aux voyageurs qui font connaissance avec le pays et la population sans quitter le chemin de fer. Une attitude indépendante et prudente de la connaissance est jugée presque comme une sorte de manie; la liberté de l’esprit est déconsidérée spécialement par les savants, qui voudraient trouver, dans son art de considérer les choses, leur solidité et leur labeur d’abeilles et qui l’exileraient volontiers dans un seul coin de la science: au lieu qu’elle a le devoir tout autre, et bien supérieur, d’étendre d’une position isolée son commandement sur toutes les forces de la science et de l’érudition, et de leur faire voir les voies et les buts de la culture. — Une plainte comme celle qui vient d’être entonnée aura sans doute son moment et résonnera un jour d’elle-même, dans un retour offensif du génie de la méditation.