Facta Ficta

vitam impendere vero

Nietzsche thinking

[MA-35]

Avantages de l’observation psychologique

Que la réflexion sur l’humain, trop humain, — ou comme dit l’expression technique: l’observation psychologique — fait partie des moyens qui permettent de se rendre plus léger le fardeau de la vie; que l’exercice de cet art procurait présence d’esprit dans des situations difficiles et distraction au milieu d’un entourage ennuyeux; que même on peut, des traits les plus épineux et les plus désagréables de sa propre vie, tirer des maximes et s’en trouver un peu mieux: c’est ce qu’on croyait, ce qu’on savait — aux siècles précédents. Pourquoi est-ce oublié de notre siècle, où, du moins en Allemagne, et même en Europe, la pauvreté d’observation psychologique se trahirait à bien des signes, si seulement il y avait des gens aux yeux de qui elle pût se trahir? Ce n’est pas dans le roman, la nouvelle, et les études philosophiques, — elles sont l’œuvre d’hommes exceptionnels; c’est déjà davantage dans les jugements portés sur les événements et les personnalités publiques: mais où manque avant tout l’art de l’analyse et du calcul psychologique, c’est dans la société de toutes conditions, où l’on parle bien des hommes, mais pas du tout de l’homme. Pourquoi laisse-t-on échapper la plus riche et la plus innocente matière d’entretien? Pourquoi ne lit-on plus jamais les grands maîtres de la maxime psychologique? — car, soit dit sans aucune exagération, l’homme cultivé qui a lu La Rochefoucauld et ses parents en esprit et en art, est rare à trouver en Europe; et plus rare encore de beaucoup celui qui les connaît et ne les dédaigne pas. Mais il est probable que même ce lecteur exceptionnel y prendra moins de plaisir que ne lui en devrait donner la forme de ces artistes; car même le cerveau le plus fin n’est pas capable d’apprécier suffisamment l’art d’aiguiser une maxime, s’il n’y a pas lui-même été élevé, s’il ne s’y est pas essayé. On prend, faute de cette éducation pratique, cette invention et cette mise en forme pour plus facile qu’elle n’est, on n’en ressent pas avec assez d’acuité la réussite et l’attrait. C’est pourquoi les lecteurs actuels de maximes n’y prennent qu’une jouissance relativement insignifiante, à peine assez de saveur .pour remplir la bouche, en sorte qu’il en va pour eux comme d’ordinaire pour ceux qui examinent des camées: ce sont des gens qui jouent parce qu’ils ne savent pas aimer , prompts à l’admiration, mais plus prompts encore à la fuite.