Facta Ficta

vitam impendere vero

Nietzsche thinking

[MA-36]

Objection

Ou bien faudrait-il décompter avec cette proposition, que l’observation psychologique fait partie des moyens d’attrait, de salut et d’allégement de l’existence? Faudrait-il dire qu’on s’est assez convaincu des conséquences fâcheuses de cet art, pour en détourner à dessein le regard de ceux qui font leur éducation? En effet, une certaine foi aveugle en la bonté de la nature humaine, une répugnance enracinée envers la décomposition des actions humaines, une sorte de pudeur à l’égard de la mise à nu des âmes, pourraient être réellement des choses plus désirables pour la félicité totale d’un homme que cette qualité, avantageuse dans des cas particuliers, de la pénétration psychologique; et peut-être la croyance au bien, aux hommes et aux actes vertueux, à une plénitude de bien-être impersonnel dans le monde, a-t-elle fait les hommes meilleurs, en ce sens qu’elle les faisait moins défiants. Si l’on imite avec enthousiasme les héros de Plutarque et que l’on ressente une répugnance à rechercher d’un air de doute les motifs de leurs actions, ce n’est pas, il est vrai, la vérité, mais la bonne marche de la société humaine qui y trouve son compte: l’erreur psychologique, et généralement la grossièreté en ces matières, aide l’humanité à aller en avant, tandis que la connaissance de la vérité.gagne toujours de plus en plus par la force excitante d’une hypothèse que La Rochefoucauld exposait ainsi dans la première édition de ses Sentences et maximes morales: « Ce que le monde nomme vertu n’est d’ordinaire qu’un fantôme formé par nos passions, à qui on donne un nom honnête pour faire impunément ce qu’on veut. » La Rochefoucauld et les autres maîtres français en l’examen des âmes (auxquels s’est récemment adjoint encore un Allemand, l’auteur des Observations psychologiques , ressemblent à d’adroits tireurs, qui mettent toujours et toujours dans le noir, — mais dans le noir de la nature humaine. Leur art excite l’étonnement, mais enfin un spectateur qui n’est pas conduit par l’esprit scientifique, mais par tin dessein de philanthropie, maudit un art qui semble implanter dans les âmes le goût du rabaissement et de la suspicion de l’homme.