[MA-450]
Nouvelle et ancienne conception du Gouvernement
Établir entre le gouvernement et le peuple cette distinction que deux sphères séparées de puissance, l’une plus forte et plus élevée, l’autre plus faible et inférieure, traiteraient ensemble et s’uniraient, c’est un reste de sentiment politique transmis par hérédité, qui, dans la plupart des États, correspond encore exactement à la constitution historique dés relations de puissance. Quand par exemple Bismarck définit la forme constitutionnelle comme un compromis entre gouvernement et peuple, il parle conformément à un principe qui a sa raison dans l’histoire (et par là aussi, il est vrai, le grain de déraison sans lequel rien d’humain ne peut exister). Contrairement, on doit maintenant apprendre — conformément à un principe qui est une pure création de tête et qui n’est encore qu’à la veille de faire l’histoire — que le gouvernement n’est rien qu’un organe du peuple, et non pas un prévoyant et respectable « dessus » par rapport à un « dessous » accoutumé à la modestie. Avant d’admettre cet énoncé jusqu’ici non historique et arbitraire, quoique plus logique, de la conception du gouvernement, que l’on en considère au moins les suites: car les rapports entre peuple et gouvernement sont les rapports typiques les plus forts sur lesquels se modèlent involontairement les relations entre professeur et élève, maître et serviteur, père et famille, chef et soldat, patron et apprenti. Toutes ces relations, sous l’influence de la forme dominante du gouvernement constitutionnel, se modifient aujourd’hui quelque peu; elles deviennent des compromis. Mais quelles vicissitudes et quelles déformations elles doivent subir, quels changements de nom et de nature, une fois que cette conception toute nouvelle se sera partout rendue maîtresse des cerveaux ! — il est vrai qu’il pourrait y falloir encore un siècle. À ce propos rien n’est plus à souhaiter que la prudence et l’évolution lente.