Facta Ficta

vitam impendere vero

Nietzsche thinking

[MA-630]

Une conviction est la croyance d’être, sur un point...

Une conviction est la croyance d’être, sur un point quelconque de la connaissance, en possession de la vérité absolue. Cette croyance suppose donc qu’il y a des vérités absolues; en même temps, que l’on a trouvé les méthodes parfaites pour y parvenir; enfin que tout homme qui a des convictions applique ces méthodes parfaites. Ces trois conditions montrent tout de suite que l’homme des convictions n’est pas l’homme de la pensée scientifique; il est devant nous à l’âge de l’innocence théorique, il est un enfant, quelle que soit sa taille. Mais des siècles entiers ont vécu dans ces idées puériles, et c’est d’eux qu’ont jailli les plus puissantes sources de force de l’humanité. Ces hommes innombrables qui se sacrifiaient pour leurs convictions croyaient le faire pour la vérité absolue. Tous avaient tort en cela: vraisemblablement jamais un homme ne s’est encore sacrifié pour la vérité; du moins l’expression dogmatique de sa croyance a dû être anti-scientifique ou demi-scientifique. Mais on voulait proprement se faire donner raison parce qu’on pensait devoir avoir raison. Se laisser arracher sa croyance, cela voulait dire mettre peut-être en question son bonheur éternel. Dans une occasion de cette extrême importance, la « volonté » était par trop clairement le souffleur de l’intelligence. L’hypothèse préalable de tout croyant de cette tendance était de ne pas pouvoir être réfuté; les raisons contraires se montraient-elles très fortes, il lui restait toujours ce recours de calomnier la raison en général et peut-être même d’arborer le « credo quia absurdum est », drapeau de l’extrême fanatisme. Ce n’est pas la lutte des opinions qui a rendu l’histoire si violente, mais bien la lutte de la foi dans les opinions, c’est-à-dire des convictions. Si pourtant tous ceux qui se faisaient de leur conviction une idée si grande, qui lui offraient des sacrifices de toute nature et n’épargnaient à son service ni leur honneur, ni leur vie, avaient consacré seulement la moitié de leur force à rechercher de quel droit ils s’attachaient à cette conviction plutôt qu’à cette autre, par quelle voie ils y étaient arrivés: quel aspect pacifique aurait pris l’histoire de l’humanité ! Combien eut été plus grand le nombre des connaissances ! Toutes ces scènes cruelles qu’offre la persécution des hérétiques de tout genre nous eussent été épargnées par deux raisons: d’abord parce que les inquisiteurs auraient dirigé avant tout leur inquisition sur eux-mêmes, et en auraient fini avec la prétention de défendre la vérité absolue; puis parce que les partisans eux-mêmes de principes aussi mal fondés que le sont les principes de tous les sectaires et les « croyants au droit » auraient cessé de les partager après les avoir étudiés.