Facta Ficta

vitam impendere vero

Nietzsche thinking

[MA-97]

Le plaisir dans la morale

Une espèce importante de plaisir, et par là de source de la moralité, provient de l’habitude. On fait l’habituel plus aisément, mieux, partant plus volontiers, on en ressent un plaisir, et l’on sait par l’expérience que l’habituel a fait ses preuves, qu’il a donc une utilité; Une coutume avec laquelle on peut vivre est démontrée salutaire, profitable, en opposition à toutes les tentatives neuves, non encore éprouvées. La coutume est, par suite, l’union de l’agréable et de l’utile, en outre elle n’exige aucune réflexion. Sitôt que l’homme peut exercer une contrainte, il l’exerce pour conserver et propager ses coutumes, car à ses yeux elles sont la sagesse garantie. De même une communauté d’individus contraint chaque élément isolé à une même coutume. On commet là cette faute de raisonnement: parce qu’on se trouve bien d’une coutume, ou du moins parce que par son moyen on conserve son existence, cette coutume est nécessaire, car elle passe pour la possibilité unique dont on peut se bien trouver; le bien-être de la vie semble ne provenir que d’elle. Cette conception de l’habituel comme condition d’existence est poussée jusqu’aux plus petits détails de la coutume: comme l’intelligence de la causalité véritable est très réduite chez les peuples et les civilisations de niveau peu élevé, on aspire avec une crainte superstitieuse à ce que tout aille du même pas que soi; même là où la coutume est pénible, dure, lourde, elle est conservée en vue de son utilité supérieure apparente. On ne sait pas que le même degré de bien-être peut exister avec d’autres coutumes, et que même on peut atteindre des degrés plus élevés. Mais ce dont on se rend bien compte, c’est que toutes les coutumes, fût-ce les plus dures, deviennent avec le temps plus agréables et plus douces, et que le régime le plus sévère peut se tourner en habitude et par là en plaisir.