[MA-VM-172]
Les poètes ne sont plus des éducateurs
Bien que cela puisse paraître étrange à notre temps, il y a eu jadis des poètes et des artistes dont l’âme était élevée au-dessus des passions, des luttes et des ravissements de la passion, et qui, à cause de cela, prenaient plaisir à des sujets plus purs, des hommes plus dignes, des enchaînements et des dénouements plus tendres. Si les grands artistes d’aujourd’hui sont le plus souvent des déchaîneurs de volonté, et, par cela même, dans certaines circonstances, des libérateurs de la vie, ceux-ci étaient des dompteurs de volonté, des transformateurs d’animaux, des créateurs d’hommes et, en général, des formateurs, des continuateurs de la vie: tandis que la gloire de ceux d’aujourd’hui consiste peut-être à dépouiller, à briser les chaînes, à détruire. — Les Grecs anciens exigeaient du poète qu’il fût l’éducateur des adultes: mais combien aujourd’hui un poète aurait honte si l’on demandait cela de lui — de lui, qui ne fut pas même un bon élève et qui, par conséquent, ne devint pas quelque chose comme un bon poème, belle formation lui-même, mais, au meilleur cas, en quelque sorte le farouche et attirant amas de décombres d’un temple, et, en même temps, une caverne de concupiscence, couverte, telle une ruine, de fleurs, de plantes piquantes et vénéneuses, habitée et visitée par les serpents, les vers, les araignées et les oiseaux, — et c’est un objet de triste réflexion que de se demander pourquoi les choses les plus nobles et les plus exquises se présentent maintenant telles des ruines, sans le passé et l’avenir de la perfection.