Facta Ficta

vitam impendere vero

Nietzsche thinking

[MA-VM-186]

Culte de la culture

Aux grands esprits s’adjoint ce qu’il y a dans leur nature de hideusement trop humain— leurs aveuglements, leurs injustices, leur manque de mesure — pour que chez eux l’influence puissante, facilement trop puissante, soit contrebalancée sans cesse par la méfiance; que ces particularités inspirent. Car le système de tout ce dont la nature a besoin pour subsister est si vaste et absorbe des forces si diverses et si nombreuses que, pour chaque avantage accordé d’une part, soit à la science, soit à l’État, soit à l’art, soit au commerce, où tendent ces individus, l’humanité est d’autre part obligée de pâtir. Ce fut toujours la plus grande calamité de la culture, lorsque l’on se mit à adorer des hommes et, dans ce sens, on peut être d’accord avec l’axiome de la loi mosaïque qui défend d’avoir d’autres dieux à côté de Dieu. — Au culte du génie et de la force, il faut toujours opposer, comme complément et comme remède, le culte de la culture: lequel sait accorder aussi, à ce qui est grossier, médiocre, bas, méconnu, faible, imparfait, incomplet, boiteux, faux, hypocrite, et même à ce qui est méchant et terrible, de l’estimé et de la compréhension, et faire l’aveu que tout cela est nécessaire. Car l’harmonie et le développement de ce qui est humain, à quoi l’on est parvenu par d’étonnants travaux et coups de hasard qui sont autant l’œuvre de cyclopes et de fourmis que de génies, ne doivent plus être perdus: comment pourrions-nous donc nous passer de la base fondamentale, profonde et souvent inquiétante, sans laquelle lamélodie ne saurait être mélodie? —