Facta Ficta

vitam impendere vero

Nietzsche thinking

[MA-VM-99]

Le poète comme indicateur de l’avenir

Il reste, en une certaine mesure, parmi les hommes d’aujourd’hui un excédent de vigueur qui n’est pas employé à la formation de la vie. Cet excédent devrait, dans, la même mesure, être voué, sans déduction, à un seul but, non peut-être à dépeindre le présent, à évoquer et à faire revivre le passé, mais à donner une indication de l’avenir: — et cela ne doit pas être entendu dans ce sens que le poète, semblable à un économiste imaginatif, devrait anticiper, en images, les conditions sociales plus favorables pour le peuple et la société, et la réalisation de ces conditions. Il devra, au contraire, comme firent jadis les artistes avec l’image des dieux, exercer sans cesse son invention sur l’image des hommes et deviner les cas où, au milieu de notre monde moderne et de sa réalité, sans aucune mise en garde ou restriction artificielles devant la réalité, la belle grande âme est encore possible, les cas où, aujourd’hui encore, cette âme saura se présenter sous des conditions harmoniques et proportionnées, devenant durable et prototype, par sa visibilité, et aidant, par conséquent, à créer l’avenir, en excitant la jalousie et l’esprit d’imitation. Les œuvres de pareils poètes se distingueraient par le fait qu’elles apparaîtraient isolées et garanties contre l’atmosphère et l’ardeur de la passion: la méprise incorrigible, la destruction de toute la lyre humaine, les moqueries et les grincements de dents, et tout ce qu’il y a de tragique et de comique, au sens ancien et habituel, dans le voisinage de cet art nouveau, serait considéré comme un fâcheux grossissement archaïque de l’image humaine. La force, la bonté, la douceur, la pureté, une mesure involontaire et innée dans les personnes et leurs actes: un sol aplani qui procure ay pied le repos et la joie: un ciel lumineux qui se reflète sur les visages et les événements: le savoir et l’art fondus en une unité nouvelle: l’esprit cohabitant, sans présomption et sans jalousie, avec sa sœur, l’âme, et faisant nattre dans l’opposition, la grâce de la sévérité et non pas l’impatience du désaccord: — tout cela serait l’enveloppe, le fond d’or général, sur quoi maintenant les subtiles distinctions des idéals incarnés peindraient le tableau véritable — celui de la toujours grandissante dignité humaine. — Certains chemins partent de Gœthe pour mener à cette poésie de l’avenir: mais il faut de bons indicateurs et, avant tout, une puissance beaucoup plus grande que celle que possèdent les poètes d’aujourd’hui, c’est-à-dire les représentants inconscients de la demi-bête, du défaut de maturité et de mesure qui se confond avec la force et la nature.