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Degrés de la morale
La morale est d’abord un moyen pour conserver la communauté, d’une façon générale, et pour la préserver de sa perte; elle est, en second lieu, un moyen pour conserver la communauté à un certain niveau et pour lui garder certaines qualités. Les motifs de conservation sont la crainte et l’espoir, des motifs d’autant plus puissants et d’autant plus grossiers que le penchant vers les choses fausses, exclusives et personnelles est encore très vif. Il faut se servir ici des moyens d’intimidation les plus épouvantables, tant que des moyens plus bénins ne font aucun effet et tant que cette double manière de conservation ne se laisse pas atteindre autrement (un de ces moyens les plus violents c’est l’invention d’un au-delà avec un enfer éternel). On a besoin de tortures de l’âme et de bourreaux pour exécuter ces tortures. D’autres degrés de la morale, moyens pour arriver au but indiqué, sont représentés par les commandements d’un dieu (telle la loi mosaïque); d’autres encore, degrés supérieurs, par les commandements d’une idée du devoir absolu avec le fameux « tu dois ». — Ce sont là des degrés assez grossièrement taillés, mais des degrés larges, attendu que les hommes ne s’entendent pas encore à poser leur pied sur des degrés plus étroits et plus délicats. Vient ensuite une morale du penchant, du goût, et enfin celle de l’intelligence — qui est au-dessus de tous les motifs illusionnaires de la morale, mais qui s’est rendu compte que longtemps il n’a pas été possible à l’humanité d’en avoir d’autres.