[MA-WS-74]
La prière
À deux conditions seulement, la prière — cette coutume de temps reculés qui n’est pas encore entièrement éteinte — peut avoir un sens: il faudrait d’abord qu’il fût possible de déterminer ou de changer le sentiment de la divinité, et ensuite que celui qui prie sache bien ce qui lui manque, ce qui, pour lui, serait vraiment désirable. Ces deux conditions, acceptées et transmises par toutes les autres religions, ont précisément été niées par le christianisme; si, malgré cela, le christianisme a conservé la prière, parallèlement à la foi en une raison omnisciente et prévoyante de Dieu, par quoi en somme la prière perd sa portée et devient même blasphématoire, — il montre par là, encore une fois, l’admirable ruse de serpent dont il disposait. Car un commandement clair « tu ne prieras point » aurait poussé les chrétiens par ennui à l’impiété. Dans l’axiome chrétien « ora et labora », l’ora remplace le plaisir: et que seraient devenus sans l’ora ces malheureux qui se refusaient le labora, les saints ! — Mais s’entretenir avec Dieu, lui demander mille choses agréables, s’amuser un peu soi-même en s’apercevant que l’on pouvait encore avoir des désirs, malgré un père aussi parfait, — c’était là pour des saints une excellente invention.