Facta Ficta

vitam impendere vero

Nietzsche thinking

[MA-29]

Enivré du parfum des fleurs

Le vaisseau de l’humanité, pense-t-on, a un tirage toujours plus fort, à mesure qu’il est plus chargé; on croit que plus la pensée de l’homme est profonde, plus son sentiment est tendre, plus l’estime qu’il fait de soi est élevée, plus est grand son éloignement des autres animaux, — plus il apparaît comme le génie parmi les bêtes, — plus il se rapproche de l’essence réelle du monde et de sa connaissance; c’est bien ce qu’il fait en réalité par la science, mais il croit le faire plus encore par ses religions et ses arts. Elles sont bien, il est vrai, une floraison du monde, mais qui n’est absolument pas plus proche de la racine du monde que ne l’est la tige: on ne peut du tout tirer d’elles une meilleure intelligence de l’essence des choses, quoique presque chacun le croie. L’erreur a fait l’homme assez profond, tendre, créateur, pour en faire venir une fleur telle que sont les religions et les arts. La pure connaissance eût été hors d’état de le faire. Qui nous dévoilerait l’essence du monde, nous donnerait à tous là plus fâcheuse désillusion. Ce n’est pas le monde comme chose en soi, mais le monde comme représentation (comme erreur), qui est si riche de sens, si profond, si merveilleux, portant dans son sein bonheur et malheur. Ce résultat conduit à une philosophie de négation logique du monde: laquelle du reste peut s’unir aussi bien à une affirmation pratique du monde qu’à son contraire.