[JGB-198]
Toutes ces morales qui s’adressent aux individus pour...
Toutes ces morales qui s’adressent aux individus pour faire leur « bonheur », comme on a l’habitude de dire, — que sont-elles d’autre, sinon des conseils de conduite, par rapport au degré de péril où l’individu vit avec lui-même; des remèdes contre les passions de l’individu, contre ses bons et ses mauvais penchants, en tant que ces mauvais penchants possèdent la volonté de puissance et voudraient jouer au maître; de petites et de grosses ruses ou des artifices qui gardent le relent des remèdes de bonne femme; remèdes baroques et déraisonnables dans la forme, puisqu’ils s’adressent à tous, puisqu’ils généralisent là où il n’est pas permis de généraliser; tous parlant d’une façon absolue, se prenant au sens absolu; tous assaisonnés non seulement d’un grain de sel, mais rendus supportables seulement et quelquefois même séduisants lorsqu’ils sont trop épicés et qu’ils prennent une odeur dangereuse, une odeur de l’« autre monde » surtout. Tout cela, au point de vue intellectuel, ne vaut pas grand’-chose; et c’est bien loin d’être de la « science », encore moins de la « sagesse ». Mais, pour le répéter encore et le répéter toujours, c’est de la sagacité, de la sagacité et encore de la sagacité, mêlée de bêtise, de bêtise et encore de bêtise, — qu’il s’agisse de cette indifférence, de cette froideur de marbre opposées à l’impétuosité folle des penchants que les stoïciens conseillaient et inoculaient comme remède; ou bien de cet état sans rire ni larmes de Spinoza, de la destruction des passions par l’analyse et la vivisection que celui-ci préconisait si naïvement; ou aussi de l’abaissement des passions à un niveau inoffensif où elles pourront être satisfaites, de l’aristotélisme dans la morale; ou bien encore de la morale comme jouissance des passions volontairement spiritualisées et atténuées par le symbolisme de l’art, sous forme de musique par exemple, ou d’amour de Dieu et d’amour des hommes pour l’amour de Dieu, — car dans la religion les passions ont de nouveau droit de cité, à condition que… Enfin, qu’il s’agisse même de cet abandon volontaire aux passions, comme l’ont enseigné Hafiz et Gœthe, qui courageusement voulurent que l’on laissât aller la bride; de cette licentia morum, spirituelle et corporelle, recommandée dans les cas exceptionnels de ces vieux originaux pleins de sagesse et d’ivresse, chez qui « les dangers ne sont plus guère à craindre ». Ce sera encore pour servir au chapitre de « la morale comme une forme de la timidité ».