Facta Ficta

vitam impendere vero

Nietzsche thinking

[JGB-296]

Hélas ! Qu’êtes-vous donc, vous mes pensées écrites et...

Hélas ! Qu’êtes-vous donc, vous mes pensées écrites et multicolores ! Il n’y a pas longtemps que vous étiez encore si variées, si jeunes, si malicieuses, si pleines d’aiguillons et d’assaisonnements secrets que vous me faisiez éternuer et rire. Et maintenant ! Déjà vous avez dépouillé votre nouveauté et quelques-unes d’entre vous sont, je le crains, prêtes à devenir des vérités: tant elles ont déjà l’air immortelles, douloureusement véridiques et si ennuyeuses ! En fut-il jamais autrement? Qu’écrivons-nous, que peignons-nous donc, nous autres mandarins au pinceau chinois, nous qui immortalisons les choses qui se laissent écrire, que pouvons-nous donc peindre? Hélas ! rien autre chose que ce qui commence déjà à se faner et à se gâter ! Hélas ! toujours des orages qui s’épuisent et se dissipent, des sentiments tardifs et jaunis ! Hélas ! des oiseaux égarés et fatigués de voler qui maintenant se laissent prendre avec les mains, — avec notre main ! Nous éternisons ce qui ne peut plus vivre ni voler longtemps, rien que des choses molles et fatiguées ! Et ce n’est que pour votre après-midi, vous mes pensées écrites et multicolores, que j’ai encore des couleurs, beaucoup de couleurs peut-être, beaucoup de tendresses variées, des centaines de couleurs jaunes, brunes, vertes et rouges: — mais personne ne sait y démêler l’aspect que vous aviez au matin, ô étincelles soudaines, merveilles de ma solitude, ô mes anciennes, mes aimées… mes méchantes pensées !