Facta Ficta

vitam impendere vero

Nietzsche thinking

[MA-223]

Crépuscule de l’art

De même que dans la vieillesse on se souvient du jeune âge et qu’on célèbre des fêtes du souvenir, de même l’humanité se laisse aller à considérer l’art comme un souvenir ému des joies de la jeunesse. Peut-être que jamais auparavant l’art n’a été compris avec tant de profondeur et d’âme qu’au temps actuel, où la magie de la mort semble jouer autour de lui. Qu’on pense à cette ville grecque de l’Italie méridionale, qui, un seul jour de l’année, célébrait encore ses fêtes grecques, en se lamentant et pleurant de voir la barbarie étrangère triompher chaque jour davantage de ses mœurs originelles; jamais sans doute on n’a joui de ce qui est grec, nulle part on n’a savouré ce nectar doré avec une telle volupté, que parmi ces Hellènes périssants. L’artiste passera bientôt pour un magnifique legs du passé, et, comme à un merveilleux étranger dont la force et la beauté faisaient le bonheur des temps anciens, des honneurs lui seront rendus, tels que nous ne les accordons pas aisément à nos semblables. Ce qu’il y a de meilleur en nous vient peut-être de ce sentiment d’époques antérieures, que nous pouvons maintenant à peine atteindre directement; le soleil s’est déjà couché, mais il éclaire et enflamme encore le ciel de notre vie, quoique déjà nous ne le voyions plus.