Facta Ficta

vitam impendere vero

Nietzsche thinking

[MA-55]

Suspecter la morale par égard pour la foi

Aucune puissance ne peut se soutenir, si elle n’a pour représentants que des hypocrites; l’Église catholique a beau posséder encore bien des éléments « séculiers », sa force réside dans ces natures de prêtres, encore nombreuses aujourd’hui, qui se font une vie pénible et de portée profonde, et dont l’aspect et le corps miné parlent de veilles, de jeûnes, de prières ardentes, peut-être même de flagellations; ce sont elles qui ébranlent les hommes et leur causent une inquiétude: eh quoi? s’il était nécessaire de vivre de la sorte? — telle est l’affreuse question que leur vue met sur la langue. — En répandant ce doute, ils ne cessent d’établir de nouveaux soutiens de leur puissance; même les libres penseurs n’osent pas répliquer à l’un de ces détachés d’eux-mêmes avec un rude sens de la vérité et lui dire: « Pauvre dupe, ne cherche pas à duper ! » — Seule la différence des points de vue les sépare de lui, pas du tout une différence de bonté ou de méchanceté; mais ce que l’on n’aime pas, on a coutume de le traiter aussi sans justice. C’est ainsi qu’on parle de la malice et de l’art exécrable des jésuites, sans considérer quelle violence contre soi-même s’impose individuellement chaque jésuite, et que la pratique de vie aisée, prêchée par les manuels jésuitiques, doit s’appliquer non pas à eux, mais à la société laïque. Même on peut se demander si nous, les amis des lumières, dans une tactique et une organisation toutes semblables, nous ferions d’aussi bons instruments, aussi admirables de victoire sur soi-même, d’infatigabilité, de dévouement.