Facta Ficta

vitam impendere vero

Nietzsche thinking

[MA-WS-40]

La signification de l’oubli dans le sentiment moral

Les mêmes actions, inspirées d’abord dans la société primitive par l’utilité générale, ont été attribuées plus tard, par d’autres générations, à d’autres motifs: parce que l’on craignait et vénérait ceux qui exigeaient et recommandaient ces actes, ou par habitude parce que, dès son enfance, on les avait vu faire autour de soi, ou encore par bienveillance, parce que leur exercice amenait partout la joie et des visages approbateurs, ou enfin par vanité parce qu’ils étaient loués pour cela. De pareilles actions dont on a oublié le motif fondamental, celui de l’utilité, sont alors appelées morales: non peut-être parce qu’elles ont été faites par ces motifs différents, mais parce qu’elles n’ont pas été faites pour des raisons d’une utilité consciente. — D’où vient cette haine de l’utilité qui devient ici visible, alors que toute action louable, exclut littéralement de toute action en vue de l’utilité? — Il est évident que la société, foyer de toute morale et de toutes les louanges en faveur des actes moraux, a eu à lutter trop longuement et trop durement avec l’intérêt particulier et l’entêtement de l’individu pour ne pas finir par considérer comme supérieur au point de vue moral, tout autre motif que l’utilité. C’est ainsi que naît l’apparence qui fait croire que la morale n’est pas sortie de l’utilité: alors qu’en réalité elle n’est pas autre chose au début que l’utilité publique qui a eu grand’peine à se faire valoir et à se faire prendre en considération contre toutes les utilités privées.