[MA-WS-41]
La richesse morale par succession
Il y a aussi une richesse par succession sur le domaine moral: elle est possédée par les gens doux, charitables, bienveillants, compatissants qui ont hérité de leurs ancêtres tous les bons procédés, mais non point la raison (qui en est la source). L’agrément de cette richesse, c’est qu’il faut la prodiguer sans cesse, si l’on veut en faire éprouver les bienfaits, et qu’elle travaille ainsi involontairement à réduire les distances entre la richesse et la pauvreté morales: ce qu’il y a de plus singulier et de plus excellent, c’est que ce rapprochement ne se fait point en faveur d’une moyenne future entre pauvre et riche, mais en faveur d’une richesse et d’une abondance universelles. — C’est de cette façon que l’on peut résumer à peu près l’opinion courante sur la richesse morale par succession. Mais il me semble que cette opinion est maintenue plutôt in majorem gloriam de la moralité qu’à l’honneur de la vérité. L’expérience du moins établit un axiome qui, s’il n’est pas une réfutation de cette généralité, peut du moins être considéré comme une restriction significative. Sans une raison choisie, dit l’expérience, sans la faculté du choix le plus subtil et une forte disposition à la mesure, ceux qui possèdent une richesse morale par succession deviennent des gaspilleurs de la moralité: en s’abandonnant sans retenue à leurs instincts de pitié, de charité, de bienveillance et de conciliation ils rendent tout le monde autour d’eux plus négligent, plus exigeant et plus sentimental. C’est pourquoi les enfants de pareils gaspilleurs très moraux sont facilement — et malheureusement au meilleur cas — des propres à rien, faibles et agréables.